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Kill the Therapist : comprendre et dépasser le jeu thérapeutique - Une tragédie en trois actes


Et si on en finissait avec Œdipe ?

Ah, mourir ! Pas au sens propre (je vous vois venir), mais cette mort étrange, intime et délicate que tout thérapeute est condamné à vivre lorsqu’il fait son travail correctement. Condamné à mourir comme Prométhée avec son foie putréfié, séance après séance. Une tragédie en plusieurs actes, où le thérapeute n'est autre que l’acteur principal d’un drame dans lequel son propre rôle est...de disparaître !


Ô douleur, ô désespoir, suis-je la mère d'Antigone ? Oui, chers lecteurs, imaginez-moi, héroïne tragique, armée non pas d'une aiguille à tricoter, mais d’un carnet de notes ou d'une guitare, me crevant de l’intérieur pour qu’un autre puisse enfin respirer à pleins poumons. Une véritable performance d’acteur, vous dites ? Peut-être. Mais si les acteurs ont cette capacité à mourir devant un public, avec un soupçon d’applaudissements pour panser l’ego, le thérapeute, lui, meurt en silence. Pas de standing ovation, juste un "merci" et une porte qui se referme doucement.


C’est au cours de mon tout premier accompagnement que j’ai compris. La théorie de l'école, la pratique sous surveillance, aussi brillantes soient-elles, ne préparent jamais vraiment à cela. Mourir pour que l’autre vive. Pas seulement métaphoriquement. Non, vraiment. Céder sa place. S’effacer. Accepter de ne plus être. Ô leçon cruelle mais nécessaire !


Et pourtant, cette mort symbolique n’est pas le fardeau exclusif des thérapeutes ou des acteurs si bons soient-ils. N’avons-nous pas tous, à un moment ou un autre, dû nous effacer pour permettre à un être cher d’avancer ? Pour aimer, pour élever, pour laisser partir, il faut parfois mourir un peu.


Mais alors, pourquoi cette mort-là, en thérapie, est-elle si essentielle ?


 

Acte I : le paradoxe du musicothérapeute, quand l'artiste s'efface


Dans mon métier de musicothérapeute, ce paradoxe prend une autre dimension. Être musicothérapeute, c'est aussi être musicienne. Et quel musicien n'a jamais rêvé d'entendre des applaudissements après une performance, de sentir cette reconnaissance vibrer dans la salle ? Mais ici, point de scène, pas de projecteurs braqués sur moi. En thérapie, il ne s'agit pas de ma musique, mais de celle du patient.


Mon rôle est de créer un espace où sa musique peut naître, où ses vibrations peuvent se libérer, et non de jouer ma propre partition. C'est un acte d'amour et de renoncement : jouer pour que l'autre trouve sa mélodie, puis s'effacer et laisser cette musique courir seule. Pas de rappel. Pas d'ovation. Juste un silence qui, paradoxalement, en dit long sur le travail accompli.


Et c'est peut-être cela qui est le plus déroutant : accepter que l'on ne reste qu'un instrument. Un diapason humain qui ajuste, qui accorde, mais qui doit disparaître pour que le concert du patient prenne toute sa place.


Acte II : Le jeu du transfert et du contre-transfert


Soyons honnêtes : qui n’aime pas être valorisé ? Qui n’apprécie pas d’entendre que son travail est utile, voire transformateur ? Lorsque les mots valorisants s’accumulent, ils gonflent l’ego. Mais il serait dangereux de s’arrêter là. Si je me laissais guider par cette valorisation, si je m’y accrochais, je risquerais de transformer mon rôle en une quête de reconnaissance. Je tomberais dans une thérapie facile "de bas étage", où l’objectif principal serait de nourrir mon propre besoin de validation.


Quand l’idéalisation vacille, le transfert prend le relais. Le patient projette sur le thérapeute ses propres conflits, blessures, et attentes. Et dans ce jeu subtil, le thérapeute, s’il n’est pas vigilant, peut tomber dans le piège du contre-transfert : celui de répondre à ces projections par ses propres émotions ou fragilités.


C’est ici que la thérapie devient un véritable art.


Car voyez-vous, la musique, en thérapie, amplifie tout. Les émotions cachées, les blessures silencieuses, les échos du passé. Elle devient un langage, un médium qui révèle ce que les mots ne peuvent atteindre. Mais cette musique amplifie aussi le transfert et le contre-transfert. Lorsque le patient projette sur moi ses blessures, ses espoirs, ses attentes, la musique devient cet autre miroir sonore. Elle m'invite à sentir plus intensément, à capter les subtilités de son monde intérieur.


Pourtant, c'est là que le piège se referme. La musicienne en moi voudrait parfois guider davantage, proposer des harmonies, embellir l'ensemble. Mais le thérapeute doit résister à cette tentation. Il s'agit de laisser la dissonance vivre, d'accepter les silences inconfortables, et parfois même, les fausses notes. Car c'est dans ces espaces bruts et imparfaits que réside la vraie transformation.


Le musicothérapeute danse alors sur un fil ténu. Trop jouer, et l'on impose sa mélodie. Pas assez, et l'on risque de laisser l'autre se perdre. Mais, au fond, n'est-ce pas cela le rôle du passeur ? Tendre un fil, puis reculer doucement pour que l'autre apprenne à vibrer par lui-même.


Entracte : se décentrer au quotidien


Être thérapeute, c’est un travail constant sur soi-même. C’est apprendre à mettre son "moi" de côté, sans jamais cesser d’être humain.


Quand je chante ou fais écouter de la musique à mes patients, je ne le fais pas pour moi. Ce n’est pas pour montrer une compétence, ni pour impressionner. C’est un outil, un médium, une manière de leur permettre d’explorer leurs émotions et leur histoire.


Mais cela demande un effort quotidien. Parce que, par nature, nous avons tendance à recentrer les choses sur nous. Nous ressentons, nous réagissons, nous interprétons. Et c’est là tout se joue : ces moments où les émotions du patient viennent résonner avec les nôtres, où leur histoire fait écho à la nôtre.


Prêtez attention chers lecteurs, le contre-transfert n’est pas un problème en soi. Il peut même être un outil très utile, si on sait le reconnaître et le travailler. Mais il exige une vigilance constante. Parce qu’il serait si facile, si facile, de se laisser happer, de faire de cette relation thérapeutique quelque chose qui ne sert plus le patient, mais nous-même.


Acte III. Et puis finalement laisser mourir la musicienne, pour naître thérapeute


Être musicothérapeute, c'est accepter de mourir non seulement en tant que thérapeute, mais aussi en tant que musicien. C'est renoncer à son rôle central, à cette idée romantique de l'artiste créateur, pour devenir un facilitateur humble et discret. Mais c'est aussi une renaissance. Car dans cet effacement, nous découvrons une autre forme de créativité : celle de voir l'autre s'épanouir, de sentir sa musique grandir, de l'accompagner vers une symphonie qu'il n'aurait peut-être jamais imaginée.


Et n'est-ce pas cela, au fond, le plus beau des paradoxes ? Mourir pour mieux renaître. Disparaître pour permettre à l'autre de se révéler. Accepter de ne jamais entendre d'applaudissements, mais de savourer, en silence, la plus belle des harmonies : celle d'une vie qui reprend son cours.


Alors vient le moment crucial. La mort du thérapeute. Pas de manière dramatique, non. Mais dans cet effacement progressif, cette disparition qui laisse la place à l’autonomie du patient. Le thérapeute meurt à travers la dissolution du transfert. Ce processus marque la fin d’une dépendance pour ouvrir un espace de liberté.


Pour le patient, cela signifie renoncer à cette relation, parfois perçue comme vitale, pour réintégrer ses propres ressources. Pour le thérapeute, cela implique de s’effacer, d’accepter d’être une étape, un passage, un témoin.


En musicothérapie, ce paradoxe est encore plus frappant. Car, en tant que musicien, tout est pensé pour captiver un public, pour provoquer une émotion immédiate. Mais ici, pas d’applaudissements, pas de rappel. Le rôle du thérapeute n’est pas de briller, mais de laisser courir la musique du patient. Une musique que l’on accompagne, certes, mais que l’on doit finalement lâcher pour qu’elle trouve son propre rythme.


Freud parlait de la nécessité de "tuer le père". Ce processus symbolique, où l’on déconstruit la figure d’autorité pour devenir pleinement soi. Il en va de même en thérapie. À un moment donné, le patient doit tuer le thérapeute. Non pas dans un rejet brutal ou une rupture violente, mais dans une prise de conscience. Celle que le thérapeute n’est pas une figure idéale ou une solution à tous ses problèmes. Que derrière le rôle, il y a un être humain, avec ses forces et ses failles.


La question est donc : comment et pourquoi je meurs à la fin ? Eh bien, c’est simple. Parce qu’en tant que thérapeutes, il nous est nécessaire de devoir mourir pour laisser place à la liberté. Oui, Harry...No one can live until the other die...Nous devons mourir. Je dois mourir. Ainsi va la mort du transfert, de ce soi idéalisé/idéal, la mort du contre-transfert et de mes croyances. En thérapie, la mort est ce que l’on attend de nous. Car quand ce processus touche à sa fin, ceci n'est pas la fin, mais le début de la véritable guérison du patient.


Moi ? Je ne suis qu’un simple moyen, une étape, un passage. Et ma mort symbolique permet d’ouvrir un espace d’autonomie pour le patient. Je cesse d’être l'instrument pour devenir juste...une témoin.



Dernière note : prologue


Je vous arrête tout de suite, ceci n’est pas une tragédie. Non. Il s'agit en réalité du début de quelque chose de plus grand. Ce n’est pas une fin sanglante à la Game of Thrones. C’est un passage, une porte ouverte vers une autonomie que j’aurais contribué à bâtir. Et même si cette « mort » semble violente au premier abord, elle est en réalité la plus douce. Parce que dans cette fin, c’est la liberté qui naît. Et c’est là que tout commence. Mourir ici signifie pour le patient de renoncer à une relation, à un être qui, parfois, a été une bouée de sauvetage. Et pour le thérapeute, cela implique d’accepter de ne plus être nécessaire, de ne plus être "celui qui aide".




Non ok personne ne perd ici. Dans cette pièce, tout le monde meurt. D'une manière ou d'une autre. Le patient en évoluant, changeant à chaque séance. Le thérapeute en se retirant doucement, mais sûrement.


Chaque soir, en quittant mon cabinet, je me dis : "Aujourd’hui encore, je suis morte. Et c’est parfait ainsi." Merci. Pas d'ovation, pas de rideau qui tombe. Juste le doux écho d'une vie qui continue de courir ailleurs, portée par quelqu'un qui, désormais, n'a plus besoin de moi.


Et finalement, qu'est-ce que le silence, sinon la dernière note d'un morceau qui continue à résonner dans l'invisible ?


Cet itinéraire vous a plu ? Vous a donné envie d'échanger ? Discutons-en commentaire :)



 

Pour aller plus loin :


  • Mes recommandations musicales :


    • Musique de Films & Séries :

      • Harry Potter and the Deathly Hallows - Alexandre Desplat (et tout particulièrement le premier thème "Obliviate" que je vous recommande chaudement !)



  • Game of Thrones / Light of the Seven - Ramin Djawadi



  • Plus romantique...:

    • La Mort d'Iseult - Tristan et Iseult, Richard Wagner




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