
Les fêtes sont derrière nous, 2025 a commencé, mais leurs résonances continuent de se faire sentir. Je ne sais pas pour vous, mais ces petits repas en famille, malgré leur aspect joyeux, ont cette étrange capacité à raviver de vieux schémas, à faire ressurgir des émotions enfouies et à recréer des scénarios familiers. Dans mon travail (et dans ma vie personnelle, oui, dieu merci, je suis aussi un être humain^^), j’entends souvent ces récits de tensions, ces moments où des fils invisibles semblent nous ramener, malgré nous, aux souvenirs de l’enfance. En ce début d’année, où les cœurs cherchent à se rééquilibrer et les esprits à se calmer (ou du moins à essayer), j’ai envie d’aborder un sujet qui, à mon avis, laisse une empreinte bien plus profonde qu’on ne l’imagine : le complexe d’Œdipe.
Non, cet article n’est pas une défense de la théorie freudienne. Personnellement, je ne m’y reconnais pas et je ne suis pas convaincue de sa pertinence universelle. Mais n'êtes-vous pas frappés de constater à quel point ce mythe – et les croyances qu’il a engendrées – s’immiscent partout : dans nos sociétés, nos films, nos opéras, nos livres, nos discours... et surtout, dans nos vies ?
Peut-on vraiment l’ignorer en thérapie ? Et, surtout, comment sortir de son emprise lorsque ce complexe se manifeste à travers nos relations, parfois à notre insu ?
Œdipe, entre mythe et empreinte psychique
Revenons à la source. Dans la mythologie grecque, Œdipe est cet homme condamné par une prophétie à tuer son père et épouser sa mère. Malgré tous les efforts pour échapper à ce destin tragique, il finit par accomplir l’inévitable. Freud a repris ce mythe pour en faire l’un des piliers de sa théorie psychanalytique, affirmant que tous les enfants traversent une phase où ils désirent inconsciemment le parent de sexe opposé tout en rivalisant avec l’autre (complexe d'Œdipe pour les garçons, d'Electre pour les filles).
Et c’est là que réside le paradoxe : bien que cette théorie ait été largement critiquée, contestée et, pour beaucoup, dépassée, son influence dans notre société demeure étonnamment puissante. Elle s’est insidieusement infiltrée dans notre langage courant : « C’est une fille, elle adore son papa, c’est normal » ou « Les garçons sont toujours un peu amoureux de leur maman ». Elle se retrouve également dans nos récits culturels, notamment à travers les films et les livres des années 80, 90, et même 2000 qui ont souvent exploré cette dynamique triangulaire entre un enfant, son père et sa mère. Et aujourd'hui, malgré les avancées, cette empreinte continue de se faire sentir dans notre façon de concevoir les relations familiales et affectives.
Parce qu'au-delà des mots et des fictions, l’impact psychique reste finalement bien réel. Dans mon cabinet, je rencontre souvent des adultes – femmes, en particulier – qui restent empêtrées dans une relation inconsciente à leur père. Refus d’accepter une nouvelle compagne dans la vie de celui-ci, jalousie masquée par des préoccupations légitimes, de peurs ou encore une attente implicite qu’il continue à remplir un rôle de protecteur affectif ou matériel... Tout cela est le reflet de ces croyances sociétales profondes. L’héritage d’Œdipe, qu’on le veuille ou non, est là.
Pourquoi ne pas ignorer Œdipe ?
Alors, pourquoi ne pas simplement écarter cette théorie en thérapie, si elle ne correspond pas à notre vision du monde ? Parce que, que nous y adhérions ou non, ses effets sont ancrés dans les structures relationnelles que nous observons.
Prenons le cas de cet enfant – ou devrais-je dire de cet adolescent devenu adulte – pris dans une manipulation triangulaire parentale. Lors de séparations ou de conflits, il est courant que l’enfant devienne l’allié émotionnel de l’un des parents, souvent inconsciemment. Cette « coalition » peut renforcer une dynamique œdipienne, mettant l’enfant dans une position de violence psychique imperceptible mais bien réelle.
En tant que thérapeute, notre rôle n’est pas de valider ou d’invalider Freud, mais de comprendre l’impact de ces constructions sur nos patients. Ignorer Œdipe, c’est risquer de passer à côté des mécanismes qui s’enracinent dans ces relations et qui, parfois, sabotent les liens d’attachement sains. Et si l’on veut les déconstruire, il faut commencer par les reconnaître.
Vers une libération d’Œdipe : pistes et réflexions
Une fois que cette prise de conscience est amorcée, comment se libérer ? :
Les lettres thérapeutiques : écrire une lettre en musique adressée à soi-même, à sa mère ou à son père, peut être une façon - plus ou moins douce - d’explorer ces dynamiques. Que diriez-vous à votre parent si vous pouviez parler sans filtre ? Qu’aimeriez-vous exprimer à cet enfant que vous avez été, face à un père ou une mère idéalisée ou parfois redoutée ? Ces lettres, qu’elles soient envoyées ou non, permettent de nommer des émotions enfouies.
Rituels de séparation symbolique : pour les patients qui se sentent encore « attachés » à un parent de manière envahissante, des rituels peuvent être utiles. Par exemple, imaginez un fil qui les relie à ce parent et, symboliquement, coupez ce fil lors d’une séance. Cela peut sembler simple, mais ces gestes symboliques sont souvent d’une grande puissance.
Revisiter les croyances : enfin, un travail sur les croyances est essentiel. Pourquoi est-il « normal » qu’une fille aime son père « un peu trop » ? Quel est le besoin sous-jacent ? D’où vient cette idée, et surtout, est-elle encore pertinente pour vous aujourd’hui ? Déconstruire ces biais permet de retrouver une autonomie émotionnelle.
Une société sous l’emprise d’Œdipe ?
Ce que je trouve fascinant – et un peu effrayant – c’est à quel point ces dynamiques ne se limitent pas aux relations familiales. Elles infiltrent aussi nos relations de couple, nos choix de partenaires, et même nos attentes envers les autres. L’empreinte d’Œdipe va bien au-delà de l’enfance.
Mais alors, comment sortir de cette emprise collective ?
Peut-être en commençant par questionner ces récits qui nous semblent si « normaux ». Pourquoi une fille ne pourrait-elle pas être simplement proche de son père sans qu’on y projette un désir inconscient ? Pourquoi un père ne pourrait-il pas refaire sa vie sans susciter un sentiment de trahison chez sa fille ? Ces questions, aussi inconfortables soient-elles, méritent d’être posées.
Bref,
Je ne prétends pas détenir la vérité sur Œdipe. Mais ce que je sais, c’est que comprendre ces dynamiques – et les remettre en question – est un pas vers plus de liberté. Alors, que vous soyez parent, enfant ou thérapeute, je vous invite à explorer ces fils invisibles qui tissent nos vies. Peut-être que, collectivement, nous pourrons enfin en finir avec Œdipe.
Cet itinéraire vous a plu ? Vous a donné envie d'échanger ? Discutons en commentaire :)
Pour aller plus loin :
Œdipe de Georges Enesco (1931)
Cette tragédie lyrique est la seule à raconter l'histoire d'Œdipe dans son intégralité. Le premier acte se déroule au Palais de Laïos à Thèbes, et l'œuvre explore en profondeur le mythe grec.
Envie de prendre rendez-vous avec moi pour une consultation : www.lessonsnaissances.com
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